Jeanine vivait dans un taudis
Un impeccable taudis
Jeanine n'avait ni douche ni toilette
Une table en Formica et un caddy à roulettes.
Jeanine vivait dans une sombre caverne
Presque sans lumière
Au métro Bonne Nouvelle.
Jeanine buvait du café
Regardait la télé
Tuait des blattes à longueur de journée.
Jeanine fumait des gitanes
Puis faisait son ménage,
Portait un chignon, des lunettes
Et des blouses à fleurettes.
Jeanine faisait des crêpes
Et m'appelait dans l'escalier
J'habitais au-dessus d'elle
Et je descendais lui parler.
Je descendais souvent
J'avais vingt ans
Je commençais ma thèse sur l'errance
Je lui rapportais Telestar le mercredi
En rentrant de mon cours de danse
Et parfois du café de la brûlerie
Elle aimait en avoir d'avance.
J'adorais les maniques crochetées de Jeanine
Ses petites tasses fleuries
La poésie de ses murs plus que jaunis.
Un jour le coeur de Jeanine s'est disloqué
L'ambulance l'a emmenée
J'ai couru couru mais à Lariboisière on ne m'a pas laissé entrer
Le lendemain
J'ai couru encore avec des pâquerettes roses à la main
Jeanine ne pouvait plus me parler
Son sourire s'était envolé
Son regard était inquiet.
J'ai regardé ses cheveux blancs, défaits
Sa peau claire et laiteuse, immaculée.
Tout était très blanc à cet instant
Elle, les draps, la blouse, la chambre.
J'ai posé près d'elle mon petit bouquet
Je n'ai pas senti sa tristesse s'alléger
Nos silences étaient désemparés.
Je suis revenue le lendemain
Elle était morte dans la nuit
Vous êtes de la famille ?
J'ai hoché la tête et je suis repartie
J'ai pleuré je n'ai rien dit
Moi qui ne crois en rien
J'ai regardé le ciel
Je ne sais pas pourquoi
J'ai pensé
Le blanc sûrement
J'ai pensé
Jeanine, maintenant, ce sont les nuages qui te ressemblent
La jolie manique qui me rappelle Jeanine,