Il est appuyé sur le manche de sa pelle
Les autres sont réunis un peu plus loin
Ils regardent l'ampleur des dégâts
Du travail à réaccomplir
Recommencer
Toujours
S'incliner
Accepter
Reconstruire
Reconstruire les petites cabanes aux planches disloquées
Les petites cabanes pour s'abriter
Ceux-là étaient installés dans ce V d'herbe que forment l'embranchement la bretelle la sortie du périphérique au niveau de la porte de la Chapelle.
Le matin je passe vite
Moi
Mais toujours je regarde leurs cabanes jolies
Le linge suspendu entre deux arbres
Les couleurs qui se balancent dans le gris
Ils ont choisi ce coin
Ce triangle d'herbe
Ce bout de terrain
Ils ont la liberté du vent
Et le flux
Et le bruit incessant
J'ai toujours un petit pincement
Quelque part dans un creux
Du ventre
De la tête
Du cœur
Quand je passe
Près d'eux
Et près des camps plus loin
Un petit pincement
Beaucoup d'admiration
De la fascination pour ces vies parallèles
Passées à glaner dans nos poubelles de quoi se construire un petit toit
Un abri pour dormir
Elles sont belles leurs cabanes coincées entre les grands axes
Des dizaines et des dizaines alignées Porte de Paris
La fumée des petites cheminées
Les points lumineux dans la nuit
Toute la vie autour
La misère aussi
Les sourires
Oui il y a la loi
Oui il y a des ordres
Oui le problème est vaste et complexe
Mais comment qui pourquoi
Comment peut-on en un coup porté
Détruire
Saccager
Anéantir
Ecrabouiller
Ces cabanes ces toits ces petites œuvres de bois
Leurs lits
Leur vie
(La même histoire
ici déjà...)
Les cabanes du triangle d'herbe ont disparu pendant les vacances de Noël.
Quand je suis passée le premier matin
Il restait encore du linge qui se lamentait sur son fil.
Hier soir
De l'autre côté
Dans la pente
J'ai vu toutes leurs pauvres richesses jetées en cascade
Ce n'est plus de la vie
C'est de la désolation
Un paysage désolé
Et le flux toujours incessant
Des voitures des gens pressés
Et le gris toujours
Et le crachin froid de ce vendredi soir
Pincement.
J'augmente le son de la chanson
Je fuis aussi
Arthur me chante
Arthur me porte
M'océan
Me météorite
Me paradoxe
Me silencieusement
M'oiseaux
Me lune
Me pénombre
Me poète
M'infiniment
Me fragile
M'étoile filante
Me vertige
M'absente
M'amazone
Me tremblante
Me découvre
Me tourneboule
Me transporte
Me chavire
Et je me dis que si un homme m'avait écrit une si belle chanson, je me serais sûrement évanouie et qu'on ne s'évanouit pas assez d'amour il nous manque un peu de folie je ne sais pas pourquoi je n'aime pas trop les vendredis soirs
Le magnifique texte mis en musique par Arthur H est un poème de Gherasim Luca. (Merci Anne !)