Je cours pour arriver à l'heure à mon rendez-vous et, quand je commence à parler, je suis essoufflée.
J'admets que je suis dans une impasse mais que j'ai envie d'y être. Je passe une heure au téléphone avec mon amie assise sur un banc dans un jardin. J'achète une boîte de cartouches Lamy.
Je profite de mes passages sur le périphérique pour téléphoner. Quand j'ai terminé, je mets la musique très fort. La 4. La 7. Je repasse à la 4. Et j'avance à la 7.
Je prends un vélib à 9h30 et je pédale très vite le long de la Seine. Les pans du petit manteau jaune s'ouvrent de chaque côté de moi, j'ai l'impression de voler, d'être soudain beaucoup plus légère. Pédaler à Paris dans les courants d'air est certainement plus efficace que n'importe quel antidépresseur. A 11h30, je reprends un vélib pour faire le trajet dans l'autre sens, avec quatre salades maison de chez Minh Chau dans mon panier. Je bifurque, je virage, je file, je m'échappe, je souris, je me sens prête à proposer un café à ce petit clochard qui termine sa toilette sur le quai, à valser sur le pont en chantant une chanson, et à embrasser une horde de fantômes. Evidemment, je n'en fais rien, mais je me mets au travail avec le même entrain. Le soir, je me glisse dans ma robe anthracite puis dans la nuit puis dans mes chaussures vertes puis sur la parquet ciré puis dans les bras de mon cavalier. Face au miroir, nous faisons une ligne, je suis les pas du professeur. Il me dit, toi, c'est bon, tu l'as celui-là, développe maintenant. Bon. Penser à développer donc. Et puis, je lui dis plus tard, mais ce petit pas-là, il n'est pas guidé, ça doit être pour ça que je n'y arrive pas ? Il explose. Bien sûr, qu'il n'est pas guidé ! Improvise, bon sang ! Si tu attends tout de l'homme, tu vas t'ennuyer. (Evidement, mon dieu quel évidence ! Je n'aime pas "mon dieu" comme expression mais je ne trouve pas mieux là.) En résumé, penser à développer, improviser, et ne pas tout attendre des hommes.
Je ne veux pas me sevrer.
Le soir, une terrasse rigolote et puis, en rentrant, la 4 et la 7 et la 4 et la 7 un peu fort toujours mais à peine. Je comble le silence de la nuit.
Un malaise grandissant. Et puis... Non. Rien.
Le soir, je vais au bal, un bal pas perdu dans un endroit magnifique. Je m'assois dans la cour sous la végétation envahissante et je regarde les danseuses et leurs pieds magnifiques dans leurs talons aiguille, je regarde les danseuses et leur corps magnifique dans leur robe jolie, je regarde les danseurs enlacer les danseuses magnifiques et tanguer avec sensualité. Et je me désagrège doucement. Je danse peu. Je danse mal. Je me sens insignifiante. En plus ma robe est trop grande. Je rentre à pieds par les quais. J'aime bien rentrer à pieds par les quais.
Je lui achète un tee-shirt à 34 euros qu'il oublie dans le panier de son vélib. Bon. C'est un peu énervant. Mais ça me rappelle que j'ai trouvé une robe Vanessa Bruno juste à ma taille dans un vélib il y a quelques années et que j'étais très contente. Disons que les choses circulent.
Je suis pleine de quelque chose d'indicible.
Mon rendez-vous de 21h30 à Saint-Germain des Prés est très très très en retard. Je ne lui laisse aucune chance malgré ses 32 sms, je rentre. Cela m'aura permis toutefois une balade en solitaire dans les beaux quartiers. Et j'aime bien les balades en solitaire la nuit dans les beaux quartiers.
J'écris 15 fois Capucine, 15 fois Monnaie du Pape, 18 fois Pavot, 6 fois Nigelle, 7 fois Gueule de loup. Il me manque du papier pour terminer. J'avance sur mes calendriers. Je travaille toute la journée. Je doute toute la journée.
Je sens que j'aurais bien besoin de pédaler très vite dans un courant d'air.