Debout appuyée au chambranle les pieds croisés dans mes Salomé je regarde les filles se tortiller sur les chansons à la mode. Je ne me tortille pas, moi, je suis absolument immobile et perdue à Boulogne dans ma robe à fleurs.
Elle avait dit fête de printemps en costume, personne n'a respecté la consigne. Je suis la seule à peine déguisée en fleur parmi tous ces inconnus. Je ne me sens même pas ridicule.
J'ai envie de danser mais pas de me tortiller, j'ai envie qu'on me prenne la main qu'on me fasse tourner, j'ai envie d'un rock à six temps d'une valse à trois temps d'un tango hors du temps de discrets enlacements j'ai envie de danser j'ai envie de danser.
Dans le jardin je fais trois pas sur la pelouse et j'entends par-ci je suis courtier en assurance, par-là contrôleuse de gestion, plus loin archi, archi en pagaille même, médecin urbaniste juriste et vous ? De grâce soyez chic ne me demandez rien vous voyez bien ce que je suis je ne suis rien.
Je vois bien qu'ils me regardent tous, lui surtout. Ils s'interrogent. Je les laisse s'interroger.
Il y a celui enfin qui remplit mon verre et qui s'installe tout près. Nous rions beaucoup, et si je reste silencieuse il me dit que je lui fais penser à Tess. On ne me l'avait encore jamais fait Tess. J'ai une belle collection pourtant de comparaisons.
Il est tard il veut me laisser son numéro mais je lui dis vous savez je n'ai pas de crayon plus de batterie aucune mémoire et je ne prends pas d'initiative alors c'est inutile. C'est dit.
Il est tard et je m'enfuis je me perds un peu plus je ne retrouve plus la direction de Paris.
Il est tard et enfin j'y suis et je m'engouffre sur le périphérique mais je suis distraite je le prends à l'envers. Tant pis. Il est fluide et silencieux presque vide ça glisse je monte le son je monte très fort le son toujours les mêmes chansons.
Mais je n'entends rien je ne chante rien je m'enfonce dans mes pensées, je n'entends rien je ne pense plus à rien je m'enfonce je m'enfonce dans le noir de la nuit éclairée.