Au moment de quitter son désordre, je remarque un livre au-dessus d'une des nombreuses piles sur la table.
Je le prends. C'est un livre d'Annie Ernaux. Je m'aperçois que je ne l'ai pas lu.
Je le glisse dans mon sac.
Il est très noir, celui-là, j'entends.
C'est très bien s'il est très noir, je réponds.
Dans le métro, je lis la préface.
Mes pensées s'en vont instantanément vers ma grand-mère. Je lève la tête. Je me mets à observer et décrire mentalement le visage de la dame assise en face de moi. Elle ferme les yeux. Sa bouche est le début d'un sourire. Ses lèvres sont entourées d'une multitude de ridules. J'imagine que sous le reste du rose de leur rouge, elles gardent le souvenir de nombreux baisers. Son visage est très paisible, sa tête à peine dodeline. Ses cheveux colorés ondulent en légères vagues immobiles. Elle n'a presque plus de sourcils mais un trait de crayon très doux en souligne le tracé. Ses cils sont extrêmement courts. Elle a posé une légère ombre sur ses paupières.
Je me demande jusqu'à quand j'aurai la force de rester coquette.
Dehors, il pleut, la nuit est tombée, les trottoirs luisent et brillent des lumières de la nuit. Les phares rouges des voitures font la queue leu leu.
Je descends le boulevard. J'ai un sac sur l'épaule rempli d'accordéons. J'ai un grand sac en papier dans une main rempli de légumes. J'ai un autre sac en papier dans l'autre main rempli de fruits. Je cherche avec quelle main porter mon parapluie. C'est presque acrobatique.
Mes pensées sont dans la lecture d'Annie.
Et puis dans cette image si heureuse de ma grand-mère, un après-midi d'été sous le prunus, alors qu'elle tient dans ses bras son premier arrière petit-fils.
Je suis presque arrivée en bas du boulevard, je ne sens pas la douleur de mes bras, je n'entends pas non plus le craquement, mais soudain je vois des dizaines d'oranges de clémentines de pommes et de poires s'éparpiller sur le noir luisant du trottoir tout autour de moi.
Mes pas mes pensées s'arrêtent, la pluie continue de tomber, il y a, pendu à ma main, le reste du sac en papier.
6 commentaires:
Oups, j'espère d'autres mains voyageuses sans parapluie pour vous aider à les regrouper à nouveau dans un autre sac.....même si l'orange sur le noir, je trouve l'idée drôlement joli.....seraient-ils tous ces fruits devenus des bons pour la compote...?
Merci pour ce texte magnifique.
Vous pourriez vous aussi être une Annie Ernaux.
quel joli récit! si merveilleusement conté
J'adore comme d'habitude ... la poesie du vendredi me fait du bien ! belles fêtes de fin d'année
Comme toujours un superbe court-métrage....à déguster comme une bergamote de Nancy....
C'est un très beau billet .....de temps en temps, je déambule aussi avec mes disparus ..... Et mes grand-mètres ne m'ont jamais vraiment quittée
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